Bâtiment: concurrence déloyale entre Pays Basque Sud et Nord, mythe ou réalité?


Trois étudiantes de l'IUT de Bayonne qui préparent une licence professionnelle de sciences et techniques de la gestion salariale- Johanna Heinrich, Emilie Meira, Audrey Arhets- viennent de réaliser un mémoire qui met en parallèle les coûts salariaux au Pays Basque espagnol et au Pays Basque Français. Des écarts dans la productivité du travail


Le résumé d'une étude comparative

Un chantier en Aquitaine (ph Paysud)
Un chantier en Aquitaine (ph Paysud)
Ce n'est pas un problème qui date d'hier, cela fait plusieurs années que ce phénomène existe. Les salariés étrangers renvoient une mauvaise image dans l'Hexagone, pourquoi ?
Pour répondre à cette question, nous sommes allées rencontrer des entreprises sur le terrain ainsi qu'un Inspecteur du travail à la DIRECCTE, puis une personne de la FFB. Les différentes visions de ces interlocuteurs ont permis de mieux cerner la question et d'étoffer notre propre vision sur ce sujet.
  • Les origines de ce phénomène
La signature du traité d’Amsterdam le 2 Octobre 1997, a permis la libre circulation des personnes, dont l’objectif était de réduire le taux de chômage dans les pays de l’union Européenne.
En Espagne depuis 2008, la crise économique est apparue et a rendu toute activité difficile.
Le secteur immobilier a été un des secteurs le plus impacté, fragilisant ainsi celui de la construction. Une bulle immobilière s'est créée, c'est à dire, une offre supérieure à la demande : ce qui a amené les entreprises espagnoles à conquérir le marché français.
Les Pyrénées Atlantiques ont été l'un des premiers départements impacté par ce phénomène, du fait de sa proximité avec l'Espagne.
Depuis cette période les entreprises françaises se sentent en difficulté face à cette concurrence qu'ils estiment déloyale.
Le secteur du bâtiment en France a connu une baisse d'activité de 2,6 % et une perte de 40 000 emplois en 2013, plus particulièrement une perte de 1300 emplois au Pays Basque Français.
Cette situation a engendré une polémique des entreprises françaises en liaison directe avec les organismes tels que la Fédération Française du bâtiment, l'Inspection du Travail, l'URSSAF, etc

Une chasse aux charges sociales

Pour lutter contre cette « concurrence déloyale », la FFB a mené des manifestations, lancé des pétitions et écrit un projet de loi en 2014, afin que l'inspection du travail réalise des contrôles plus fréquents et plus approfondis : la loi Savary.
L'alliance entre les entreprises et les différents organismes dénonce des salaires tirés vers le bas, des durées de travail non respectées, des consignes de sécurités bafouées, une absence de contrôles sérieux… Mais la réalité de cette lutte repose essentiellement sur une chasse aux charges sociales.
Pour la plupart, la « concurrence déloyale » viendrait essentiellement de la différence de cotisations sociales entre l'Espagne et la France.
Les entreprises Espagnoles proposent des prix plus avantageux. Nous nous sommes aperçues que cette différence s'efface avec les frais engendrés par les entreprises Espagnoles en matière d’hébergement, de repas et de transport
Ainsi, les entreprises espagnoles parviennent à proposer des prix plus intéressants non pas grâce à leurs charges sociales moindres, mais plutôt à une meilleure productivité. En effet, là où le salarié français ne travaillerait que 35h par semaine, le salarié espagnol travaille plus de 40h par semaine . Les chantiers sont donc réalisés plus rapidement, d'où une diminution des coûts pour les entreprises espagnoles. Elles arrivent à obtenir un meilleur rendement grâce à la qualification de leurs salariés, alors qu'en France on constate un réel manque de main d’œuvre qualifiée et un manque de motivation de certain des salariés. C'est une culture de travail différente entre les deux pays.
  • Une qualité de travail très souvent critiquée
La qualité du travail des Espagnols est parfois critiquée par les Français du fait de normes différentes. Certes, il a fallu un certain temps pour que Espagnols aient une qualité de travail équivalente, mais à ce jour, la plupart des entreprises espagnoles ont mis en place des normes ISO permettant de justifier de la qualité de leur travail.
Les Espagnols se sont efforcés à changer leurs méthodes de travail pour être davantage acceptés sur le sol français et se retrouver au même niveau que les entreprises françaises. Ces dernières trouvent encore un point sur lequel les attaquer : la caisse des congés payés


La question des congés payés

  • La caisse des congés payés : un système incompris par les travailleurs espagnols
En effet, le système des congés payés en France est d'une réelle complexité, et n'est pas compris par les entreprises espagnoles. Notamment le système d’acquisition français qui oblige les salariés à les cumuler sur une année pour en avoir le bénéfice l’année suivante. La première année, l'employeur espagnol devra cotiser à la caisse de congés payés en France (cotisation patronale de 20%) et payer en Espagne les congés de ses salariés pour l'année en cours : il paiera alors deux fois les congés, ce qui représente un coût non négligeable pour les entreprises.
La Fédération Française du Bâtiment pousse l'Inspection du Travail à concentrer ses contrôles sur la vérification de l'affiliation à la caisse des congés payés du bâtiment, et à sanctionner les entreprises si elles n'y adhèrent pas. Ces organismes ne réalisent pas que les entreprises espagnoles paient à deux reprises leurs congés.
  • Quel rôle joue vraiment l'Inspection du travail?
De plus, le rôle principal d'un inspecteur du travail consiste à vérifier que la réglementation sur les conditions de travail des salariés soit bien respectée.
Pour ce faire, ils devraient davantage se déplacer sur les lieux pour constater la réalité du terrain et non pas se contenter de contrôler l'affiliation des cotisations sociales, cela relevant des compétences de l’Urssaf.
Les sanctions se portent essentiellement sur le non-respect des cotisations, et lorsqu'il s'agit du non-respect de la législation sur les conditions de travail des salariés, là les lois n'aboutissent à aucune sanction. Une différence de charges sociales, mais pas que :
Nous avons fait l'étude des deux conventions collectives, celle du Guipuzcoa et celle de la France. Nous avons fait une simulation pour quatre catégories de salariés : Un ingénieur, un chef de chantier, un ouvrier non qualifié et un ouvrier qualifié. Nous avons restitué leur salaire dans les deux pays. Le résultat est étonnant ( voir le tableau).
  • Libre circulation des travailleurs, mais pourquoi toujours autant de disparités?
Ainsi, au lieu de lutter contre nos voisins européens, il serait plus judicieux de trouver des solutions pour pouvoir travailler ensemble.
Pourquoi l’Europe ne créée pas de nouvelles lois et n’applique pas les mêmes conditions de travail pour tous les pays de la zone euros ? Quel était alors l’objectif d’ouvrir les frontières si les étrangers ne peuvent pas venir travailler sereinement en France?

Emilie Meira, Audrey Arhets, Johanna Heinrich

Lundi 13 Juin 2016

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